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titre est le titre du texte. Mais est-ce qu'il donne son titre en
disant : je suis de la fausse monnaie? Non, car la fausse
monnaie n'est fausse qu'à ne pas donner son titre.
Le titre de La fausse monnaie est, peut être, de la fausse
monnaie. La fausse monnaie n'est jamais, comme telle, de la
fausse monnaie. Dès qu'elle est ce qu'elle est, reconnue comme
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Poétique du tabac
telle, elle cesse d'agir et de valoir comme de la fausse monnaie.
Elle n'est qu'en pouvant être, peut-être, ce qu'elle est. Compte
tenu de cette irréductible modalité, et en tant que le titre peut
en relever, il vous oblige. Il vous oblige d'abord à vous
demander ce que c'est que la monnaie, la vraie, la fausse, la
fausse vraie ou la vraiment fausse et la non-monnaie qui
n'est ni vraie ni fausse, etc.
L'autre bordure dont il faut peut-être dire aussi un mot,
c'est ce qu'on appelle la dédicace. La dédicace situe, donc, en
le donnant à remarquer, le mouvement datif ou donateur qui
déplace le texte. Rien dans un texte qui ne soit dédié ou
dédicacé, rien qui ne soit destiné, et la destination de ce datif
ne se réduit pas à la dédicace explicite. Le nom du dédicataire
- ou donataire ne fait pas plus la preuve de la dédicace
effective que le nom patronymique du signataire (juridique-
ment identifiable par le droit civil) n'épuise la signature effec-
tive, s'il y en a. Nous suivrons plus tard les mouvements
datifs à l'intérieur du récit La fausse monnaie. Pour l'instant,
situons la dédicace au moins apparente du livre Le Spleen de
Paris, dont La fausse monnaie, dans son unité même, dans
son identité irréductible, n'est qu'un morceau découpé, une
pièce, un tronçon, le monnayage d'un tout. Or quant à ce
tout, il est difficile de dire si cette dédicace en bordure en fait
ou non partie. Insérée dans le livre, inscrite entre le nom
d'auteur puis le titre d'une part, et le premier récit d'autre
part, la lettre-dédicace semble ne pas appartenir au système
de la fiction dont La fausse monnaie n'est qu'une pièce. Mais
est-ce si sûr? Autrement dit, comment prendre la dédicace?
Est-ce encore de la fiction? Baudelaire la signe-t-il comme il
signe le livre, selon la même modalité? Est-ce de la fausse
monnaie? A quel titre doit-on la recevoir? Question décisive
et d'autant plus difficile à trancher que cette dédicace énonce
en même temps cette question, la question du titre, la question
du tout et de la partie, la question même de la tranche et du
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Donner le temps
« trancher ». Elle le fait en agitant la figure du Serpent c'est
un serpent que le livre donné , d'un serpent en pièces, d'un
long animal fuyant et en morceaux que Baudelaire dit vouloir
dédier « tout entier » à son ami. Que fait-on quand on dédie
un serpent tout entier ou en morceaux? On pourrait dérouler
plus d'un corpus, à commencer par d'autres textes de Bau-
delaire, pour polyloguer une immense réponse à cette question
et pour la faire chanter. Laissons-la en l'air, cette question du
serpent à faire chanter. Voici la dédicace en deux versions, le
propre et le brouillon. Car la question du titre ne se pose,
sous son nom, que dans le brouillon. Mais la version finale
met en place la logique de ce que nous pourrions appeler une
jalousie du don ¹ qui donne à lire, en sa modernité, l'intrigue
même de La fausse monnaie.
Et cela au moment même où Baudelaire déclare, en même
temps que sa « jalousie », qu'il parle « pour dire le vrai » :
A Arsène Houssaye
Mon cher ami, je vous envoie un petit ouvrage dont on
ne pourrait pas dire, sans injustice, qu'il n'a ni queue ni
tête, puisque tout, au contraire, y est à la fois tête et queue,
alternativement et réciproquement. Considérez, je vous prie,
quelles admirables commodités cette combinaison nous offre
à tous, à vous, à moi et au lecteur. Nous pouvons couper
où nous voulons, moi la rêverie, vous le manuscrit, le lecteur
sa lecture; car je ne suspends pas la volonté rétive de celui-
ci au fil interminable d'une intrigue superflue. Enlevez une
vertèbre, et les deux morceaux de cette tortueuse fantaisie
se rejoindront sans peine. Hachez-la en nombreux fragments,
et vous verrez que chacun peut exister à part. Dans l'espé-
1. Quant à la pensée de la jalousie, du rapport entre le don et la
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